Rencontre avec un “Tabaquero” au Pérou,

J’arrive dans une ruelle à quelques kilomètres du centre-ville. Une odeur d’épices et de pétrole mélangée à la chaleur humide de ce lieu si particulier qu’est la jungle. Rendez-vous dans un lieu sacré protégé par mère nature, le poumon de notre planète.

Centro de Dietas

Par où commencer. Tout d’abord apprendre à vous transmettre une médecine traditionnelle péruvienne  : 

Suite à une semaine de bénévolat chez Inti Eco Lodge. Quelques amis discutent de la “diète” de certaines plantes afin d’éliminer les traumatismes accumulés dans le corps énergétique. Je ne connais strictement rien aux énergies et aux différentes plantes. 

Au fur à mesure de la discussion, il parle d’isolement dans la jungle afin de purger et nettoyer les différents corps (physiques, émotionnels, psychiques et énergétiques). 

à ce moment-là , je me suis demandée, quel était le but et pourquoi ? 

À notre retour en ville, ils prévoient de retourner voir ce guérisseur. 

C’est un tabaquero, il utilise le tabac comme “plante maîtresse”. 

La curiosité l’emporte, je pars à la rencontre de cet homme. Il reçoit gratuitement chez lui, les patients. 

Je me retrouve dans une entrée assez bucolique, l’avant de la maison est entourée d’une parure aux couleurs de l’arc en ciel. 

Quelques personnes attendent devant la salle principale, aussi bien des locaux que des étrangers. 

Origine : le Tabac en Amazonie : source “ Centre Takiwasi Pérou ” :

“ La première chose qui va être offerte à Christophe Colomb par les indiens Arawak à son arrivée au Nouveau Monde, c’est le Tabac. C’est dire l’importance que cela avait pour eux, c’était leur or, c’était ce qu’ils avaient de plus précieux, c’est ce qui leur permettait d’entrer en contact avec les dieux, c’était leur sacrement.”

Le Tabac est essentiel dans les pratiques chamaniques grâce à sa puissance particulière, dans certaines sociétés, le chamane ou le guérisseur est « celui qui consomme du Tabac ». Chez les Ashaninka, le guérisseur ou « sheripiari » est celui qui « mange » le Tabac. Il en absorbe le jus de mastication ou avale sa fumée afin de se nourrir », de nourrir ses énergies. Dans d’autres groupes ethniques, le chamane est appelé « celui qui souffle le Tabac », celui qui est capable et autorisé à souffler la fumée de Tabac sur ses patients.. Il doit acquérir un degré suffisant de maîtrise des puissances du Tabac et de son propre corps énergétique pour pouvoir gérer cette opération. 

Cela a mérité au Tabac le qualificatif de « chair ou nourriture des Dieux ».

Le Tabac est pour certains guérisseurs leur plante maîtresse essentielle et on les désignera alors par le terme de « tabaquero ». Cependant, il s’agit rarement d’une utilisation isolée. 

Autour de l’usage du Tabac, de nombreuses autres pratiques rituelles ou de de soins peuvent s’articuler (bains, massages, etc.) et l’esprit du Tabac peut s’associer aux esprits de l’eau, de la terre, de l’air et du feu.

Le Tabac est la plante la plus puissante utilisée en Amazonie, plus importante par exemple que l’Ayahuasca. Gérer le Tabac nécessite une grande maîtrise psychique, physique et spirituelle. 

La matière et l’eau sont liées au monde du féminin, comme nous naissons d’un corps féminin, à la fois dans l’obscurité de la matière et de l’eau, immergés dans le liquide amniotique. Puis surgit la naissance et nous sortons de cet univers de chair et d’eau pour accéder au monde de l’air et du feu, de la lumière, du soleil, en bref des « énergies » masculines. 

Dans les mythes Wajao par exemple, la maison des dieux, la maison du savoir, de l’origine des dieux, est appelée « la maison de la fumée du Tabac ». Notre savoir, notre connaissance, notre conscience, procéderaient du mystère de la rencontre du féminin et du masculin. Le chamane est lié au monde de l’eau, aux entités de l’eau qu’il prie et qu’il chante, et en même temps il utilise le Tabac. Il se trouve justement à cette jonction des mondes masculin et féminin. 

Le travail du chamane commence donc par une soplada, de la fumée soufflée rituellement sur le corps du patient. 

Il « charge » d’abord le “mapacho” (tabac) des énergies qu‘il convoque à travers ses chants et prières. Il utilise à cette fin l’énergie de son propre corps connectée à celle de l’esprit du Tabac, de ses maîtres, de ses ancêtres, et d’autres esprits de plantes ou éléments  (terre, eau, air et feu) qu’il a appris à dominer, ainsi que de figures du panthéon chrétien. 

La fumée de Tabac soufflée possède des qualités énergétiques qui vont directement agir sur le corps énergétique du patient. 

Par incompréhension de cette dimension énergétique, certains chercheurs ont tenté de réduire l’action de la soplada à une explication matérielle de fines particules du Tabac qui parviendraient à pénétrer par les pores dilatés de la peau.

Le chamane prépare une décoction de diverses plantes médicinales à laquelle il ajoute un peu de Tabac frais dilué dans de l’eau et un peu de parfum. 

L’usage moderne de l’Agua Florida (eau florale)  s’est substitué aux préparations traditionnelles de tubercules aromatiques d’une famille de plantes qu’on appelle les « Piri-piri ».

Le Tabac a été utilisé d’abord sous la forme de fumée soufflée sur le corps du patient, puis en décoction dans ce mélange ingéré et associé à des parfums et d’autres plantes macérées, enfin frotté sur le corps du patient pour le protéger. Le Tabac assume en effet cette fonction protectrice, une protection masculine.

La rencontre avec un chamane : un seuil à franchir pour la pensée occidentale

Évidemment, il existe une compréhension subtile, afin de pouvoir passer du concept matérialiste au concept énergétique, d’un paradigme matérialiste à un paradigme post-matérialiste. Quand on parle avec un chamane, on n’utilise pas de langage abstrait.

La pratique du Tabac dans la médecine traditionnelle amazonienne

La pratique de la cérémonie du Tabac n’est pas isolée de toute la cosmogonie amazonienne où elle s’insère et où l’univers ne se résume pas au monde visible de la manifestation et des phénomènes, au monde sensible. 

Le Tabac, comme tout ce qui se trouve dans la nature finalement, constitue une forme sensible qui, par analogie, dans un contexte rituel et au travers de la fonction symbolique, donne la possibilité d’accéder à un monde invisible. 

La fumée de Tabac s’inscrit bien sûr dans la matérialité des molécules, des particules.

Or, le Tabac est particulièrement intéressant parce qu’il a une puissance telle dans sa fonction symbolique qu’il va couvrir tout l’axe du réel, du plus matériel au plus spirituel, du plus solide au plus aérien.

Le Tabac utilisé sous de multiples formes :

Le Tabac s’utilise en décoction, infusion, macération… Par voie orale ou en lavement.

Toutes ces formes d’usage initial du tabac, sont solides et liquides. Les initiations, soins et enseignements débutent par l’assimilation des énergies « féminines » du Tabac, liées à la terre et l’eau. Temps de maturation et gestation qui prépare à l’incorporation des énergies « masculines » du Tabac liées aux mondes aérien, somme du feu et de l’air.

L’incorporation correcte d’une force, d’une énergie, d’une substance, de « l’esprit » d’une plante, pour se faire sans être déstabilisé, perturbé ou dominé par la puissance de la plante, doit se faire dans un ordre immuable.

 Pour s’approcher d’une plante initiatique, d’une plante sacrée, il faut le faire de manière ordonnée, conformément à l’ordre de la création. Car la création est ordonnée, sensée, ce qui nous renvoie tout de suite à un sens du cycle de la vie.

Quel est cet ordre ? 

Il faut d’abord prendre le Tabac sous forme solide et sous forme liquide pour incorporer en premier lieu dans son corps les vertus féminines du Tabac. Avant de le fumer. 

Toutes les initiations conventionnelles, qui malheureusement se perdent aussi, il y a du Tabac, sous forme solide ou liquide. 

Dans un deuxième temps si on veut devenir chamane, après avoir incorporé la plante sous ses formes solide ou liquide avec ce que cela suppose, c’est-à-dire purgation par le vomissement, la diarrhée, les sueurs, malaise vagal, maux de tête.

Il est alors éventuellement possible d’apprivoiser l’énergie spirituelle du Tabac et de le fumer, parce qu’à ce moment-là il devient possible de s’approprier ses vertus masculines. 

On retrouve le processus de la naissance : on naît de la terre et de l’eau pour accéder à l’air et au soleil (feu-lumière). Lors de la naissance spirituelle, c’est-à-dire dans l’initiation, le processus suit exactement le même ordre. L’absorption du Tabac sous ses formes solides et liquides ne crée aucune dépendance, même en quantités phénoménales.

Il nous faut donc sortir de notre vision matérialiste et réductionniste, concentrée sur la substance, pour considérer les usages qui sont faits de cette substances ou de cette plante. Parler de plantes « bonnes ou mauvaises » n’a aucun sens tant qu’on n’en définit pas les usages. 

Le Tabac est une plante à vertus potentiellement médicinales et aussi une plante potentiellement mortelle. L’usage seul est déterminant.

L’Esprit du Tabac

L’importance de ces rituels peut être esquivée par un occidental parce qu’ils peuvent avoir à ses yeux un aspect insignifiant. 

Le guérisseur a juste l’air de marmonner sur son verre ou sur sa pipe, ce n’est pas grand-chose, rien de spectaculaire. 

Pour savoir parler à l’esprit du Tabac, il faut y être initié. Il faut apprendre à reconnaître cet esprit du Tabac, comment il se manifeste, quelles sont ses caractéristiques.

Le Tabac va nous servir par sa capacité d’aller du plus dense vers le plus éthéré, du plus tellurique vers le plus aérien. 

Il a donc le pouvoir d’agir sur tous les éléments constitutifs de la nature humaine. Dans le corps de l’homme, on trouve des correspondances avec le minéral, le végétal, l’animal et aussi le spirituel qui nous rapproche du monde angélique. Le Tabac parcourt tout ce spectre : il va pouvoir agir sur le corps, sur le psychisme, sur les émotions et sur la dimension spirituelle, ou transrationnelle. Ces aspects-là ne sont pas séparés, ni dans la nature humaine, ni dans les effets du Tabac.

Un occidental qui va se balader en Amazonie et qui ne connaît pas ce genre de choses ou les nie, qui ne prend pas un minimum de précautions, qui se croit protégé par sa bonne foi ou par le fait « de ne pas y croire », s’expose à être atteint par ces pratiques sorcières et au mieux en sortir déstabilisé au niveau énergétique et psychique, au pire y laisser sa santé mentale ou sa vie.

Potentiel thérapeutique psychique du Tabac

Les qualités énergétiques du Tabac se résument dans ses propriétés à 100% masculines, sa capacité à procurer de la force, à éclairer le mental, et enfin à protéger au niveau spirituel et énergétique.

Ces vertus masculines sont la structure, l’ordre, la rectitude, la projection vers l’extérieur, la verticalité. 

On pourrait dire que le Tabac est le grand différenciateur, c’est la plante-type de l’initiation. 

Le Tabac représente le protecteur énergétique par excellence, c’est pourquoi il ne peut faire défaut dans la panoplie du guérisseur amazonien. 

Pour le guérisseur qui a incorporé profondément l’énergie du Tabac, celui-ci soufflé manifeste ces mêmes vertus, pour lui-même et les patients qu’il soigne. Cela demande une longue préparation et une habilitation par un maître guérisseur. 

Différenciation masculin-féminin :

Les fonctions masculines du Tabac nous invitent à développer modestement notre réflexion sur son intérêt pour aborder la question algide dans notre civilisation post-moderne de la différenciation masculin-féminin. La différenciation nous renvoie à deux éléments complémentaires de l’évolution individuelle, le processus de l’initiation d’une part et la question de la vocation personnelle d’autre part.

Les rites d’initiation ou de passage par lesquels tout-un-chacun devrait transiter dans son développement comme individu et être social, ont malheureusement disparu dans notre monde occidental désacralisé. Ces rites permettent, à moment donné, en particulier à la puberté, d’exercer et de vivre une expérience concrète de ce qui nous différencie et donc nous définit à la fois comme être singulier au sein d’une société précise aussi bien qu’au sein de l’histoire humaine en général. Ces rituels permettent une plongée dans l’être intérieur, confrontant l’individu à ses limites physiques, psychiques, émotionnelles. A cet endroit, surgit inévitablement le « qui suis-je ? » qui habite tout être humain, et où toute tricherie ou pirouette d’évasion devient impossible. La question se pose, s’impose, de même que sa réponse.

A cet endroit, le processus d’individuation, c’est-à-dire d’initiation, peut être considérablement aidé par le Tabac. Par son implacabilité et de par le contact qu’il offre avec les fonctions masculines dans toute leur splendeur, il nous contraint à regarder en face qui nous sommes. Il agit en quelque sorte comme un sérum de vérité.

Conclusion

Le Tabac est une plante d’enseignement parce qu’elle nous met en contact avec le monde spirituel à partir duquel nous pouvons être inspirés. Ces inspirations procèdent des dimensions spirituelles de la création visible et invisible. Notre corps, dans sa nature-même, possède également cette dimension spirituelle et c’est à travers lui que nous avons accès au monde-autre. Les chamanes amazoniens nous enseignent que le Tabac constitue une voie d’accès privilégiée à notre triple dimension corporelle : physique, psycho-émotionnelle et spirituelle. Le Tabac a donc besoin d’être reconsidéré en Occident. Il peut ainsi nous permettre de retrouver dans notre société occidentale des sources initiatiques authentiques et saines.